Carte blanche… à Lali

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Il avait ce petit quelque chose du lecteur peint par Raymond Scholz. Quoi, exactement? Je ne sais pas. Ou alors, une certaine assurance.

– Je peux vous aider? ai-je fait, alors que je le voyais aller de rayon en rayon, visiblement à la recherche de quelque chose de précis.
– C’est que je ne sais pas le titre du livre… Vous n’auriez pas des photos d’écrivains quelque part? Je le reconnaîtrais tout de suite. Je l’ai vu à la télé.

J’ai dû faire une drôle de tête. Celle-là, on ne me l’avait jamais faite. Et pourtant, en plus de cinq ans de vie de libraire, j’en avais entendu de toutes sortes. Vingt ans de plus de cette vie-là m’en ferait en entendre d’autres. Des pires et des meilleures.

– Vous pouvez me le décrire? ai-je fait.
– Ben, c’est un barbu. De ça, je suis sûr. Et puis, il a une tête de rigolo, mais il écrit des livres sérieux.

Un rigolo qui écrit des livres sérieux? Le petit rigolo, c’était le client…

– Et ça parle de quoi, son livre? C’est un roman?
– Non, non, pas un roman. Je vous ai dit qu’il écrivait des livres sérieux.
– Votre écrivain, vous pouvez me dire si c’est un Québécois ou un Français?
– Bonne question. D’ailleurs, tout le temps qu’il parlait, je me demandais si c’était un Québécois ou pas. Parce que, voyez-vous, il a un drôle d’accent.

Décidément, les choses ne s’arrangeaient pas. Mais Lalibraire ne perdait pas patience.

– Et si vous l’avez vu à la télé, je suppose que son livre est récent?
– Oui! Il vient de sortir. Ça vous aide?

Je ne savais pas si ça m’aidait ou pas. Mais je me disais que peut-être dans les rayons des nouveaux titres, une idée me viendrait… Jean Yanne était barbu. Mais, ce n’était pas Jean Yanne. Soljenitsyne aussi était barbu. Mais il n’avait pas publié récemment. Et Hugo était mort depuis longtemps.

– Et vous pourriez me dire un peu de quoi parlait le livre?
– C’est un peu compliqué. Mamour, tu as retenu quelque chose du livre, toi? a-t-il fait à l’intention de sa moitié.
– Il me semble que ça parlait de fêter, a-t-elle répondu, de façon presque inaudible.
– Oui, c’est ça, Mamour! Ça parlait de faire le party!!

Je sais depuis que j’ai entendu ça que les sourcils sont en mesure de bouger à un point tel qu’ils deviennent des points d’interrogation.

– Vous n’avez pas ça un livre qui vient de sortir et qui est écrit par un barbu sérieux avec un drôle d’accent et qui parle de faire le party?

Et il était sérieux. Vraiment. Comme s’il avait en résumant ainsi les choses donné tous les indices nécessaires pour que je lui trouve le bouquin dont il ne savait pas le titre, ni le sujet et dont le nom de l’auteur lui était inconnu. Il me restait à tenter une autre approche.

– Et vous vous souvenez du nom de la maison d’édition?
– Ah non, moi je suis pas libraire.

C’est à cette minute que j’ai cherché le nom d’un saint qui s’occupe de veiller sur les libraires. Mais il n’y en a pas. J’ai donc adressé une prière à saint Judes, le spécialiste des causes désespérées. Je n’avais pas assez de temps pour une neuvaine.

Comment allais-je m’en sortir?

– Mademoiselle! Mademoiselle! ai-je entendu, alors que je bouleversais l’ordre des tablettes que j’avais pris tellement de soin à ranger le matin même.
– Quelque chose vous est revenu?

J’avais les yeux implorants. Enfin, c’est comme ça que je me rappelle la scène.

– Ça parlait de beuverie dans le titre.

Décidément.

– De beuverie?
– Oui, de se saoûler, quoi.

J’étais toujours perplexe. J’ai fait les cent pas. Barbu, sérieux, saoûler… Et Eurêka! Le livre était là, tout près. Je l’ai attrapé et j’ai fait voir la photo de l’écrivain à mon client qui jubilait.

– C’est lui! C’est lui!

Puis, il a retourné le livre pour voir le titre.

– Je vous avais bien dit que ça parlait de se saoûler la gueule!

Et il est passé à la caisse, ravi. Il allait lire L’heure de s’enivrer d’Hubert Reeves.

 

 Texte publié précédemment ici.

À propos de dubleudansmesnuages

Je laisserai vagabonder mon esprit nomade, sur le fil d'or de mes silences, pour vous parler des ces choses qui me maintiennent en équilibre. Je vous parlerai aussi des musiques que j'aime. Elles se promènent du Fado d'Amália, de Dulce Pontes, de Cristina Branco, de Mariza, jusqu'aux voix frissonantes de Diana Krall, de Stacey Kent, de Chiara Civello, de Karrin Allyson, de Stina Nordenstam, de Robin McKelle, de Sophie Milman, d'Emilie-Claire Barlow, et d'encore plein d'autres … Aznavour, Brel, Duteil, Art Mengo, Berliner, Cabrel, Balavoine, Julien Clerc, Fugain, Le Forestier, Goldman, Lama, Rapsat, Vassiliu, Daniel Seff, Peyrac et tous ceux que m’on fait aimer la chanson française. Je me perdrai certains soirs dans le paradis de la musique brésilienne : Eliane Elias, Astrud Gilbert, Gal Costa, Elis Regina, Bia, Bebel Gilberto, Maria Creuza, Nara Leão, Jobim, Vinicius, Buarque, Toquinho, Djavan … Il y aura des moments où je vous parlerai d'une des chansons de ceux que j'affectionne. Donovan, Leonard Cohen, The Doors, Tracy Chapman, The Scorpions, Dylan, Lennon ou McCartney (avec ou sans les Beatles), ou de voix d'or comme Sarah Brightman, Ana Torroja, ou Teresa Salgueiro. Puis, parfois, je me promènerai sans but précis entre Piazzolla et Lluis Llach, de Mayte Martin à Gigliolla Cinquetti ou Paolo Conte, de Chavella Vargas à Souad Massi en passant par Gabriel Yacoub. Parce que la musique n’a aucune frontière. La musique ne connait que des sensibilités. Des sonorités. Des larmes ou des sourires. Je vous déposerai ici l'une ou l'autre de mes photos. Les moins ratées. Je vous laisserai un peu de poésie. Des poètes portugais. Que j'aime. Infiniment. Et puis tous les autres dont les textes me touchent. Je ne vous parlerai que des gens que j’aime. Et puis un peu de moi. Si peu. Et puis, si j'ai le temps. Seulement si j'ai le temps, je vous parlerai d'autres choses. Plus intimes.
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6 réponses à Carte blanche… à Lali

  1. Lali dit :

    Merci à tous!
    Faudra que j’y songe à cette idée de les publier autre part que là :
    http://lali.toutsimplement.be/?cat=42

    Bon samedi à ceux qui le commencent et bonne soirée à ceux pour qui c’est encore vendredi!

  2. Fifi dit :

    Bravo Lali !!!
    Quelle enquête !!!

  3. JC dit :

    Barbu, sérieux, saoûler… A part sérieux cela aurait pu être quelqu’un d’autre lol
    Ah oui c’est vrai je médite je ne m’édite pas lol

  4. Flairjoy dit :

    Incroyable comme tu sais créer le suspense!
    Cette anecdote est vraiment savoureuse !
    Je suis d’accord avec Chantal: ce serait un succès de librairie!

  5. agnès dit :

    Quel plaisir de relire ce texte !

    Chantal a raison : tu devrais publier tes anecdotes de libraire, Lali ! Elles sont savoureuses…

  6. chantal dit :

    Dans ces cas là, on dit chez nous ? Miserere ! C’est plus court qu’une neuvaine !
    Plié de rire ! Tout compte fait, c’est amusant d’être libraire… non ? Lol !

    Lali il faudrait publier un recueil de tes anecdotes de libraire, il aurait un succès fou !

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